samedi 31 octobre 2009

MAIS QUI EST DONC ... BILL VIOLA ?

Il médite sur écran géant sur la mémoire, la conscience, la vie et la mort. Cette quête intimiste et exigeante l'a consacré en moins de vingt ans star mystique et fascinante de l'art vidéo contemporain.

Ses oeuvres touchent au mystique. Depuis 30 ans, les vidéos de Bill Viola explorent les profondeurs de l'âme humaine. Sans compromis. « L'objet véritable de ma recherche, c'est la vie, et l'Etre même », explique-t-il. Le vidéaste américain acclamé dans le monde entier a choisi la vidéo pour capter... l'insaisissable.
Dans ses installations spectaculai
res présentées sur des murs entiers dans les plus grands musées du monde, ses images extrêmes sont déconcertantes. A sa façon. Pas de sang ni de violence, le paroxysme chez lui, c'est un visage humain qui crie face à un miroir (sa première vidéo, Tape 1, en 1972) ou un homme assis sur une chaise qui fixe une caméra de surveillance (Reasons for knocking at an Empty House, 1983). Ces performances intimistes d'hommes ordinaires placés en situations extrêmes servent pour Viola à s'interroger sur la conscience humaine. Il traque cet instant fragile où l'expérience limite oscille entre illusion, absurdité et dépassement. L'artiste renvoie finalement les spectateurs vers une petite interrogation dérangeante que chacun cherche à planquer : dans quel sens faut-il prendre la vie ? Le résultat inquiète, bouleverse ou créé un profond malaise.

L'artiste passe en revue l'identité humaine - « l'expérience totale du moi intérieur » selon ses mots -, depuis ses débuts en 1972. Rapidement, ses visions sobres et dépouillées prennent une dimension spirituelle au cours des années 1970. Viola se plonge alors dans les textes du Livre des Morts égyptien et dans les traditions hindouistes et bouddhistes. Il voyage en Asie et devient un adepte zélé du zen. Ses oeuvres explorent les éléments chers au bouddhisme – l'eau, le feu, l'air, la terre, la quête d'unité comme dans Chott el Djerid (A Portrait in Light and Heat). Filmée en 1979 sur un lac asséché du désert tunisien, cette vidéo de 28 minutes est une métaphore sur le temps qui passe et sur la transcendance. Des images hallucinantes rendent compte d'un monde fragile qui hésite entre mirages et réalité. Mais la quête spirituelle et méditative de Viola part surtout des rituels humains de la vie ordinaire : sommeil, naissance, respiration... Comme dans The Passing (1991), son oeuvre majeure, et The Messenger (1996), où un homme nu nage dans un lac. Ces vidéos franchissent pourtant les rives de l'extraordinaire grâce à leur mise en scène et à leur traitement visuel.

Viola immerge ses spectateurs dans une véritable dimension métaphorique et mystique en jouant avec un brio technologique hors pair sur leur perception sensorielle. Il veut avant tout toucher les sens et créer une expérience physique ... Ses installations monumentales sont constamment baignées dans une obscurité qui sacralise leur projection. Les images semblent fragiles, fragmentées, diluées, quasiment organiques. Le son, patiemment travaillé. Le temps est dilaté et manipulé comme une quatrième dimension pour acquérir un sens propre, comme dans ces portraits de visages humain du cycle Passions (1995/2000), filmés en accélérés puis projetés au ralenti...

A partir de 1995, Bill Viola se réconcilie avec la tradition chrétienne et occidentale. Il s'inspire des thèmes bibliques de tableaux de maîtres anciens ou classiques qui le fascinent. Ce ralliement culmine dans Emergence, une composition de 2002 réalisée pour une exposition à la National Gallery de Londres. L'oeuvre transpose littéralement en vidéo la scène biblique d'une fresque du peintre florentin du 15ème siècle Masolino, où deux femmes portent le corps sans vie d'un homme, le Christ... Ses vidéos récentes sont plus laïques, comme Ascension (2000). Un homme y saute à pieds joints dans une eau boueuse. Ses bras sont écartés et il remonte comme par magie à la surface avant de replonger à nouveau. Le clin d'oeil biblique persiste donc et la quête mystique de Viola, celle des « expériences les plus profondes et les plus intimes de chaque individu » s'inspire de plus en plus des chromos de la tradition.


Ses oeuvres clés

The passing – 1991. Cette vidéo de 54 minutes sur le passage de la vie à la mort, sur les cycles de vie, est considérée comme le chef d'oeuvre de Viola. Des événements personnels (la mort de sa mère, la naissance de son premier fils) ont fourni la trame à ces images brutes qui explore le déclin d'un individu de sa naissance à son extinction.




The Quintet of the Astonished – 2000.

Bill Viola a entamé avec cette oeuvre sa série des «Passions », des études sur les expressions du visage portées à leur paroxysme et inspirées de tableaux de maîtres anciens. Ce quintet de l'étonnement est librement inspiré du « Christ injurié » (vers 1490-1500) du peintre Jérôme Bosch.


Incrementation – 1984. Bill Viola fait une entrée fracassante dans le monde des ventes publiques le 27 juin 2002, chez Christie's, à Londres, avec cette vidéo. Plus de 30 ans après ses débuts artistiques , cet auto-portrait de 1984 est la première de ses oeuvres vendue aux enchères. Un prix record - 62 240 euros - et une consécration pour l'art vidéo.


Ses inspirateurs

Daien Tanaka. Passionné par les philosophies orientales, Bill Viola fait la rencontre de ce peintre et maître zen en 1980, lors d'un séjour au Japon. Elle sera décisive. Daien Tanaka devient son guide spirituel et influence la quête mystique de Bill Viola, omniprésente dans ses installations vidéo.

Mashall Mac Luhan (1911-1980). Ce sociologue canadien a lancé le célèbre credo : « Le medium, c'est le message » (Medium is message). Pour lui, le sens délivré par une image est largement tributaire de la technique utilisée pour la produire. La théorie de Mac Luhan fait découvrir à Viola que la technologie n'est pas une fin en soi dans la pratique artistique mais qu'elle intervient directement dans la signification perçue du message.

Jacopo Pontormo (1494-1557). 1995 marque un tournant dans l'oeuvre de Bill Viola. L'installation son et vidéo qu'il créée cette année-là, « The Greeting », fait pour la première fois explicitement référence à un tableau de la Renaissance, « La visitation » de Pontormo (1528-1529), un peintre maniériste du 16ème siècle. Depuis, l'oeuvre de Viola superpose à son habituelle saisie de l'univers environnant des mises en scène inspirées d'oeuvres des maîtres anciens et de la Renaissance italienne.


Andrei Tarkovski (1932 – 1986). Les images de ce cinéaste soviétique de l'après-guerre, considéré comme l'un des maîtres du 7ème art, ont imprégné l'enfance du vidéaste, à côté de celles de Stanley Kubrick. Ses films baignés de mysticisme sont conçus comme des territoires temporels qui mettent en scène le déchirement humain entre le spirituel et le matériel, la nature et le social, l'histoire et l'individu.


Sa vie en bref

1951 Il naît à Flushing (Etat de New York), aux Etats-Unis

1970 Il commence à travailler avec la vidéo au département d'art de la Syracuse University

1974 Il fait sa première grande exposition à « The kitchen », à New York

1983 La France découvre Viola à la grande expo que lui consacre le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris

1995 Il représente les Etats-Unis à la 46ème Biennale de Venise

2005 Il crée des vidéos qui servent de décor pour le «Tristan et Isolde » mis en scène par Peter Sellars à l'Opéra Bastille.