dimanche 4 mai 2008

Quel jargon parlez-vous dans votre entreprise ?

Le jargon « maison », ce n'est pas toujours de la tarte... Les entreprises foisonnent d'expressions obscures, indéchiffrables pour les non-initiés. Leur fonction ? Nommer des techniques de travail spécifiques d'un tour de mot et sceller par une langue propre la cohésion d'un groupe.

« Félicité, tu peux monter à la Délivrance ? » Nous ne sommes pas au Couvent Sainte-Marie mais à la Fnac des Halles, à Paris, cet hiver ... Des clients surprennent à la caisse cet échange curieux entre deux salariées. Autre boutique, même trouble... A l'Occitane, chaîne de boutiques cosmétiques, une employée s'inquiète publiquement de savoir « quel a été le taux de rédemption
»...

Le commerce virerait-il dangereusement au religieux à l'aube de 2006 ? Il regorge tout simplement d'un jargon propre, codé et incompréhensible pour le premier venu. La responsable de la Fnac demandait ainsi à l'une de ses salariées de terminer son service et de se rendre à la caisse centrale. Quant à la vendeuse de l'Occitane, elle voulait connaître le taux de retour des coupons envoyés dans le cadre d'une opération de marketing direct...

De la distribution à l'informatique, en passant par le BTP et la finance, chaque activité sécrète une langue à part, à la fois hermétique et fascinante. Certaines expressions à la Prévert font spontanément sourire. Les taxis « prennent une rue en levrette » quand ils sont à contre-sens, les commissaires-priseurs qui font monter les prix d'enchères de façon artificielle « bourrent dans le vide » et quand les couvreurs nettoyent un toit avant « d'allonger de la gaufre » (de poser de la tuile mécanique...), ils « grattent le chapeau ». « Les lieux de travail sont des usines à mots », écrit la linguiste Josiane Boutet.

Ces terminologies ne sont pourtant pas créées pour le seul plaisir de la métaphore. Le jargon des métiers a une fonction très concrète : traduire la complexité de leurs techniques spécifiques à travers un langage plus précis. « C'est une question de rapidité et d'efficacité, souligne Marina Vaquin, responsable du marketing opérationnel à l'Occitane. Le jargon marketing résume par exemple d'un mot des méthodes très particulières et très pointues ». Me-too, sucette, bounce back... Autant de termes qui livrent des concepts dont l'entreprise a besoin. « Il sert à se comprendre plus vite pour travailler plus vite », renchérit Marie-Dominique Baroso, directeur de communication de la GMF. Les termes sont inventés ou détournés à mesure qu'on invente de nouveaux outils, de nouvelles méthodologies et de nouvelles connaissances, pour les définir avec précision.

S'y greffe systématiquement un lexique propre à chaque entreprise. Un commercial de Microsoft ne parle pas comme un ingénieur de Peugeot. A l'Occitane, on fera par exemple «le point sur les PLV lors de la PSA de Pyramides ». Comprenez, faire le point sur les promotions sur les lieux de vente lors de la prochaine réunion « Point sur Action » qui se tiendra à l'antenne du groupe située rue Pyramides... Souci d'efficacité, encore et toujours, mais également besoin de construire une langue propre de reconnaissance. « Il n'y a pas que des mots techniques dans les entreprises, loin de là, explique Dardo de Vecchi, spécialiste du parler d'entreprise et professeur à Paris VII. Chaque entreprise investit d'un sens particulier des mots de tous les jours pour développer in fine ses propres formes discursives ». Toute communauté de travail invente en fait son langage pour se forger une identité. Ce « parler d'entreprise » permet aux individus, en se l'appropriant, de s'intégrer à un groupe. Le jargon joue donc dans l'entreprise un rôle fondamental, celui d'une langue communautaire qui délimite et définit sa propre culture.

Ce dialecte impénétrable émaillé de termes techniques et bourré d'acronymes peut être d'autant plus déconcertant qu'il foisonne d'expressions tout à fait intelligibles mais auxquelles la culture de la «boîte » a modifié le sens... Plongés dedans, les propres salariés ne se rendent compte qu'ils parlent un sabir «maison » qu'à l'arrivée d'un stagiaire ou d'un nouvel embauché qui les regarde avec de gros yeux ronds ! Les fusions d'entreprises constituent également un grand moment de vérité, celui où deux langues s'entrechoquent et doivent se métisser.

« Quand les groupes d'assurance Azur et GMF se sont rapprochés, les jargons internes n'étaient pas les mêmes, il a fallu apprendre à se comprendre », se souvient ainsi Marie Dominique Baroso.

L'anglais peut-il mettre tout le monde d'accord ? Dans l'arène du jargon professsionnel, il devient effectivement très présent. On est désormais passwordé ou loggué, on switche ou on checke blanc, les managers lead by example (montrer l'exemple) ou walk the talk (font effectivement ce qu'ils ont dit qu'ils feront). « Pour une raison simple, explique Dardo de Vecchi. On utilise toujours dans une activité les mots inventés à la source. Les choses arrivées en anglais restent en anglais ». Les Français ont donc légué à la planète le vocabulaire des toilettes (urinoirs, vespasiennes...) et les Américains celui de l'informatique, du marketing, de l'Internet et du management...

Mais l'anglais a ses limites : personne ne parle le même ! « Lors des conférences calls entre filiales, chacun mettait sur le même mot anglais des connotations culturelles et techniques propres à son pays. Nous avons donc développé un glossaire de termes en anglais avec les définitions qu'ils revêtent pour Lafarge », explique Marc Aouston, directeur du développement marketing du groupe de BTP. Ces glossaires de vocabulaires d'entreprise sont en pleine explosion. Ils se nourrissent d'anglicismes et de néologismes, de mots-valises, d'acronymes pour construire des sociolectes dérivés lointains de l'anglais de Shakespeare et du français de Molière - et du chinois de Sun Tzu - pour construire brique par brick, comme la couleur d'un logo, l'identité irréductible de chaque entreprise nationale ou multinationale.


3 questions ...

Dardo Mario de Vecchi, docteur en linguistique, spécialiste du parler d'entreprise, auteur de « Vous avez dit jargon... » aux éditions Eyrolles.

Les jargons utilisés dans les entreprises sont-ils anecdotiques ?
Absolument pas. Une communauté de travail créé des mots car elle en a besoin. Le jargon « maison » n'est pas un argot mais un véritable « parler d'entreprise » développé pour désigner des concepts
et des méthodes de travail spécifiques et pour véhiculer des valeurs et des connaissances particulières. D’où l’intérêt d’apprendre à le mettre en évidence pour mieux comprendre et se situer dans la culture d'entreprise.


Le « parler d'entreprise » est donc un élément-clé de la culture d'
entreprise ?
Effectivement. Chez Renault, on ne parle pas «Volvo» et ce n'est pas un hasard. Le langage « maison »
permet aux entreprises de construire leurs identités. Il joue donc un rôle important pour la cohésion du groupe. En fait, la culture d'une entreprise se cache derrière son jargon. Il intègre ou bien exclut ceux qui ne le maîtrisent pas.

Beaucoup de salariés n'ont pourtant pas l'impression parler une langue étrangère au travail...?
C'est normal, ils baignent dedans. Mais pour comprendre ce qui se passe, il faut la “penser” comme une langue étrangère. Combien de fois pourtant le nouveau stagiaire ou la nouvelle recrue s'étonnent-ils de ne rien comprendre ? Les entreprises mettent de plus en plus souvent à leur disposition des lexiques ou des glossaires qui explicitent la signification immédiate de son vocabulaire et de ses sigles spécifiques. Mais le parler d'entreprise, comme une langue, ne se limite pas à de simples définitions, il est au service de l’entreprise, de ses pratiques et donc de sa culture….



LES BUZZWORDS DU MARKETING ON LINE

« Je t'ai indiqué le taux de viralité dans le J+1 » Je t'ai indiqué le taux qui mesure la proportion des individus qui sont informés de notre campagne marketing sur recommandation d'une autre personne, dans le mail que je t'ai envoyé 24 heures après le début de l'action marketing.

« Le kit média ne comprend que des pop-ups et des skyscrapers » Les outils utilisés pour faire la campagne de communication ne comprend que des fenêtres publicitaires qui s'ouvrent toutes seules sur la page d'un site Internet et des bannières publicitaires consistant en une colonne étroite disposée sur toute la hauteur d'une page Internet.

« L'e-bus mailing a été conçu en sélectionnant les prospects qui avaient des ID from cohérents avec la cible marketing » L'offre de prospection par e-mail a été conçue en sélectionnant ses destinataires selon le cheminement qu'ils avaient suivi sur Internet, en remontant leur parcours du site final jusqu'au site source et en ne retenant que ceux qui sont correspondent aux objectifs visés.

« Le trigger marketing pour cette campagne va créer un buzz d'enfer ». L'utilisation pour cette campagne de la méthode qui consiste à créer des actions marketing se déclenchant automatiquement va permettre de démultiplier le bouche à oreille électronique.


LE PARLER DU BTP

« Je vais faire une gâchée avant de ramasser mes clarinettes » Je vais préparer du plâtre (ou du ciment) avant de ramasser mes outils.

« L'indicateur Otific témoigne de l'attention croissante portée à nos clients ». Otific est l'acronyme créé par Lafarge de « On Time, In Full, Invoiced Correctly », l'expression signifie donc : l'indicateur qui répertorie les produits livrés « à l’heure dite, complets et correctement facturés » témoigne de l'attention portée à nos clients.

« Le déploiement de LFT devrait nous assurer un leadership réel ». Le déploiemente des méthodes de travail spécifiques contenues dans le programme « Leader for Tomorrow » devrait nous permettre d'être à la première place.

« On suit notamment l'évolution des SG&A en observant les KPI » On suit l'évolution des « Sales General & Administration » - les frais généraux spécifiques du groupe – en observant les « Key Performance Indicators » - les indicateurs clés de performance.


LES MOTS DE LA PUB

« On a shooté les photos pour les sucettes » On a réalisé les photographies pour les affiches des petits panneaux publicitaires urbains (l'apparence de ces panneaux sur pied de forme rectangulaire, servant souvent de panneaux d'information municipale d'un côté, rappelle une sucette...)

« Le spot à un problème de synchro, on va attendre pour livrer les bancs d'antenne ». Le son n'est pas synchronisé avec l'image dans le film publicitaire, on va attendre pour le donner aux chaînes de télé.

« Les couleurs de la body ne rendent pas bien sur le Cromalin » Les couleurs du texte en bas de l'annonce publicitaire ne rendent pas bien sur la page de test réalisée pour contrôler la bonne restitution des couleurs, qui sert de référence avant de lancer l'impression d'une affiche ou d'un magazine.

« On fera le point sur le PTC ». On fera le point sur le Plan de Travail Créatif, c'est-à-dire sur les objectifs et la stratégie de la campagne publicitaire.

« On fait une place board asap » Nous organisons une réunion créative le plus tôt possible.


LES VOCABLES DE L'INFORMATIQUE

« Quel est ton forecast ? » Quelles sont tes prévisions (d'affaires) ?

« Tu as des propales dans le pipe ? » Tu as des propositions commerciales en cours d'élaboration ? (dans les tuyaux)

« Alain et Jacques, quels deals avez-vous closés la semaine dernière ? » Alain et Jacques, quels contrats commerciaux avez-vous conclus la semaine dernière ?

« Je me suis loggué sur le réseau du client et depuis je manage l'équipe en remote ». Je suis entré sur le réseau informatique interne du client et depuis je dirige l'équipe à distance.

« Notre intervention va leur permettre de développer une killer application ». Notre intervention va leur permettre de développer un service ou un produit innovant et à forte valeur ajoutée mettant ses promoteurs hors de portée de la concurrence pour longtemps (textuellement : une application qui tue)


LE DIALECTE BIEN CODE DES RECRUTEURS

«Pour ce poste, il nous faut un high flyer ». Pour ce poste, il nous faut un cadre à haut potentiel ayant déjà exercé des responsabilités importantes.

« Tous les candidats shortlistés passeront en assessment center ». Tous les candidats retenus pour la sélection finale passeront des journées d'évaluation et de mise en situation.

« Cette entreprise est off-limit dans notre mission de search ». Cette entreprise ne peut pas être contactée dans le cadre de nos recherches de recrutement par approche directe.

«Le cadre qui vient de passer en e/v a vu l'annonce sur un job board ». Le cadre qui vient de passer en entretien a vu notre annonce sur un site Internet de recherche d'emplois

« Vous devriez consulter nos derniers Flash candidats ». Vous devriez consulter les profils de candidats disponibles, rencontrés et sélectionnés par notre cabinet.




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